RADIO-NORMANDIE

"Allo ! Allo ! Ici Radio-Normandie !"

Cet appel, combien de fois ne l'avons-nous pas entendu, s'étendant d'abord à la région proche, puis à la Normandie, enfin au-delà, bien au-delà.

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Cet appel n'était que l'éclosion d'un rêve, du rêve d'un adolescent et d'un adolescent plein d'enthousiasme, comme était la jeunesse de cette époque, et hautement intelligent. II s'appelait Fernand Le Grand. Entré, pour ses études secondaires, au collège Stanislas, à Paris, rencontra-t-il cet autre adolescent tout plein d'un rêve encore imprécis, et fougueux lui aussi, qui devait devenir le « paladin du ciel ». Vous avez reconnu Georges Guynemer, l'as de l'aviation de la Grande Guerre 14-18, qui devait disparaître « en plein ciel de gloire » à l'âge de vingt trois ans.

La grande chance de Fernand Le Grand fut d'avoir connu alors Edouard Branly, le père, en

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quelque sorte, de la Radio, grâce à son fameux « cohéreur à limaille ».Le savant lui fit l'amitié de le recevoir en son modeste laboratoire de l'Institut Catholique de Paris où il poursuivait ses recherches. Ce fut pour le jeune homme curieux la révélation. A partir de cette providentielle rencontre, sa vocation prit une forme sensible. Il aura beau faire un doctorat en droit, l'idée est bien ancrée en lui et il faudra - car c'était un volontaire - qu'un jour cette idée se matérialise.

A vingt-neuf ans, il s'emploie à la création du premier Radio-Club à Fécamp. Des essais, timides bien sûr, sont faits avec des amis et d'autres qui le deviendront. Au bout d'un an, ils

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sont dix-huit qui, égaillés aux quatre coins de Fécamp, cherchent à s'initier, à pénétrer petit à petit les mystères de cette nouvelle science dont on ne pouvait qu'instinctivement deviner où cela allait mener. Et puis, le Normand est réaliste ; prudent, méfiant même. Au début, qui y croyait ? On se trouvait dans le même état d'esprit que le président A. Thiers, devant l'avenir, pour lui, bien aléatoire, du chemin de fer.

D'autre part, le climat politique avait, à cette époque, des répercussions économiques qui devaient nous mener au naufrage du franc. Les plaies causées par la Grande Guerre 14-18 n'étaient pas encore cicatrisées et des difficultés

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énormes restaient à surmonter. On avait d'autres chats à fouetter que de se lancer dans des dépenses et de s'intéresser à une science aux techniques encore apparemment dans l'enfance pour des gens non avertis, ou à peu près. Il fallait donc informer pour recruter des membres. A Fécamp, l'étendue de la ville ne facilitait pas les réunions dans les locaux de la rue Georges-Cuvier et les adhérents les plus éloignés, pourvus d'appareils prêtés par le club, préféraient, l'hiver surtout, rester chez eux. Puisque les adhérents ne se dérangeaient pas, il fallait se rendre chez eux et, par conséquent, faire des émissions.

Fernand Le Grand fut nommé président du

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Radio-Club. N'était-il pas le premier auditeur de T.S.F. de la région ?

C'est alors qu'il monta, en 1926, un émetteur sous l'indicatif E.F. 81 C sous le nom de Radio-Fécamp et, muni de l'autorisation du ministère des P.T.T., commença ses premières émissions.

En 1926, E.F. 81 C émet d'une façon irrégulière et sous une faible puissance. Cependant, la preuve se confirmait, la confiance augmentait, les membres et les ressources également. Le président investissait des sommes importantes tant et si bien que Radio-Fécamp décida de faire de la radiodiffusion. Certains

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membres prirent peur déclarant quon allait se lancer dans une aventure qui allait mener où ? Pourtant, le président avait mis sa propriété personnelle à la disposition de Radio-Fécamp, convertissant son salon en auditorium, sa véranda en local pour l'émetteur, et le toit supportait l'antenne. Malgré tout cela, les membres adhérents manifestèrent un certain flottement. Fernand Le Grand, aussi entreprenant que son grand-père, le fondateur de la Bénédictine, et non moins volontaire et persévérant, tint bon, et put constater que, peu à peu, la confiance revenait et que les résultats d'écoute s'accroissaient, et les membres également.

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On décida alors d'introduire des avis publicitaires que le commerce appuya. Il reprenait en cela le même procédé que son aïeul qui, au milieu du siècle dernier, avait compris l'importance de la publicité pour provoquer l'accélération des affaires. Le commerce fut tenté et signa des contrats de publicité qui ne furent pas négligeables et qui permirent de tenir et développer l'entreprise. On s'employa à améliorer les émissions et à les rendre audibles dans un rayon de cent kilomètres, couvrant les secteurs du Havre, de Rouen et de Dieppe, atteignant le Calvados, l'Eure et la Somme.

Pendant toute l'année 1928, on consolida les

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résultats acquis.

L'année 1929 va récompenser les efforts et la persévérance du président, car, le 18 février 1929, un décret gouvernemental reconnaissait officiellement les droits de l'émetteur de Fécamp et le mettait au niveau des douze stations françaises privées. Nous devons à la vérité de dire le rôle important joué alors par Georges Bureau, député et ancien ministre, dans cette affaire.

Radio-Fécamp, ainsi consacré officiellement, fut à même de recevoir les subventions de la ville de Fécamp, de la Chambre de Commerce, et devenait Radio-Normandie.

En juillet 1929, les Radio-Clubs de la région se réunirent et décidèrentde créer une Fédération des Radio-Clubs de Haute-Normandie. II fallut alors convertir la salle de réunion du Radio-Club de la rue Georges-Cuvier en petit auditorium, le salon de Vincelli la Grandière, propriété de Fernand Le Grand, étant utilisé pour les concerts importants. Deux mâts de cinquante mètres furent dressés sur la colline proche à trois cents mètres.

1929, c'est l'année où le président chercha une sténodactylo pour prendre les communiqués par téléphone afin de les lire au micro dans les moindres délais. Il la trouvera

et elle deviendra la première speakerine de France et s'appellera Tante Francine.

Nous laissons à Georges Ricou, directeur du Sans-Filiste de Normandie et ancien directeur de l'Opéra-Comique, le soin de narrer les circonstances de sa venue à Radio-Normandie :

« Troisième fille d'une famille de six enfants, Francine Lemaître a eu une jeunesse studieuse et des débuts laborieux. Rien, à l'origine, ne semblait la mener vers le micro. C'est le hasard, la chance aussi, qui ont tout fait.

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« Pour gagner sa vie, dès l'âge de seize ans, la jeune Francine Lemaître pratiqua et enseigna la sténodactylographie. C'est à ce titre qu'elle entra à Radio-Normandie, pour sténographier les informations de presse téléphonées de Paris. Ce fut le mardi de Pâques, au tintement des cloches, en 1929. Deux mois plus tard, elle devenait speakerine, par hasard, un hasard qui faisait bien les choses. Le fondateur de Radio Normandie, retenu par une absence imprévue, le micro risquait de se trouver accidentellement muet. Un coup de téléphone, des instructions rapides, des tâtonnements encore plus rapides et Francine Lemaître, encore sans expérience, prenait possession du micro. Pour être imprévu, le début

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ne fut pas moins heureux. La voix était charmante, joliment timbrée, nette et riche de nuances. Le plaisir des auditeurs s'affirma dans le courrier. Ce qui n'était qu'un hasard, presque un accident, devint une expérience. Et c'est ainsi, sans cesser d'être sténo, que Francine Lemaître devint speakerine. La première de France et la plus jeune d'Europe, comme le remarqua un journaliste allemand, Allan A. Gulilan, en juillet l932. »

Le poste continua à prendre de l'importance.

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Un groupe théâtral d'amateurs elbeuviens passant au micro, on remarqua l'un d'entre eux, à la voix chaude et à l'élocution facile. Il était ouvrier typographe. On l'engagea immédiatement, et c'est ainsi que Roland Violette devint, à son tour. l'un des speakers de la station. On le verra parcourir la province et, plus tard, les routes menant jusqu’à Paris. Cherbourg et Dunkerque, retransmettant les manifestations sportives et culturelles. Il aura l'idée de la section des « Petits Auditeurs » et dira à Francine Lemaître « Vous serez la Tante Francine et moi l'Oncle Roland ».

Cette association d'enfants devait, en peu de

temps, atteindre un nombre de 30.0000 adhérents qui s'ajoutaient à ceux non moins nombreux des adultes. La cotisation annuelle pour les enfants était de cinq francs. Une émission, pour ces petits auditeurs, avait lieu chaque jour à 18 h Chaque jour on attribuait un lot, plus vingt-cinq par semaine et cinquante par mois. A Noël, la fête, par excellence, des enfants, on tirait une tombola de cent lots. On souhaitait fêtes et anniversaires aux « chers petits amis ».

Mme Delacour, professeur de piano, préparait pour la matinée du jeudi, son groupe de jeunes garçons et filles dont les morceaux étaient présentés par la Tante Francine et l'Oncle Roland.

Ce groupe théâtral et vocal comprenait : Jacqueline (Caron), Roselyne (Moello), Manuella (Féron), Annette (Villard), Jacqueline (Horlaville), Jean (Hauguel), Brigitte, Agnès, Marie-Claude, Thérèse, Huguette, Jacques, Pierrot et l'inimitable Petit Claude (Violette). La première émission eut lieu à la fin de 1932. Chaque section de grands auditeurs eut sa section de petits auditeurs et les sections étaient le suivantes : Abbeville, Amiens, Bayeux, Berck, Boulogne-sur-Mer, Caen, Calais, Yvetot, Cherbourg, Trouville, Deauville, Dieppe, Dunkerque. Harfleur, Fécamp, Le Crotoy, Le Havre, Le Tréport, Rouen, Saint-Valéry-sur-Somme, soit vingt sections pour un total qui a pu s'élever à 32.000 enfants et à peu près autant d'adultes.

Pour chaque déplacement de l'équipe de Radio-Normandie chargée de la prise de son pour les différentes manifestations organisées dans les sections, on possédait un car de retransmission sur les flancs duquel était représentée en peinture la carte des diverses sections rattachées à notre station en Normandie, en Picardie et en Artois. Ce car, conduit par le dévoué Maurice Parrain, était toujours prêt et chargé de tout le matériel nécessaire et accompagné par une tourisme transportant la Tante Francine et l'Oncle Roland rendant visite à leurs auditeurs petits et grands qui se pressaient autour d'eux, soit à la séance donnée pour les enfants, soit au concert du soir. Il n'est pas rare de rencontrer de témoins de cette époque, aujourd'hui d'un certain âge, qui se rappellent ces douces heures avec émotion.

Citerons-nous la section havraise inaugurée le 26 septembre 1930, à l'hôtel Frascati ?

Puis, les cérémonies du cinq centième anniversaire de la mort de Jeanne d'Arc, à Rouen, capitale de la Normandie ? Les micros étaient implantés sur place du Vieux-Marché, à l'hôtel de ville, dans les tours de la cathédrale. C'était le 29 mai 1931.

Cette même année, des relais furent établis dans tout le département, et jusqu'à Paris, depuis l'Ecole Supérieure des P.T.T.

Le 18 novembre, c'est le quatrième auditorium avec Le Tréport- Eu-Mers.

1932 sera également une grande année, où l'on voit se constituer de nouvelles sections en Basse-Normandie avec Caen, puis Trouville et Deauville.

A Deauville, les auditeurs purent entendre le reportage de la course automobile (Grand Prix de Deauville) au cours de laquelle, le malheureux Lehoux fut tué à la suite d'un accrochage par Farina.

A Caen, la municipalité accorda un local au Radio-Club dans les dépendances mêmes de la mairie.

C'est en 1932 que l'un des pionniers de la télévision, de réputation internationale, Henri de France, vint à Fécamp, invité par Fernand Le Grand. Il fit plusieurs émissions de télévision dans les locaux de la rue Georges-Cuvier qui furent captées à 40 kilomètres de Fécamp et où l'on vit la Trante Francine qui devenait ainsi l'une des premières speakerines, sinon la première, passer sur le petit écran. Ce document a été présenté à Antenne 2, il y a quelques années, et est conservé comme pièce à conviction pour l'histoire de la Télévision en France.

1933. L'importance que prend le poste Radio-Normandie exigea des antennes modernes et plus hautes que les deux mâts existants. On installa donc deux pylônes de 100 et 113 mètres, ce dernier plus élevé à cause de la déclivité du terrain. La portée de l'émetteur s'en trouva fort améliorée, et les auditeurs étrangers s'en félicitèrent. N'oublions pas qu'un contrat avait été passé avec la B.B.C. (British Broadcasting Company) en 1931 contrat de louage de l'émetteur, qui prolongea de deux heures environ par jour le fonctionnement du poste, pour des émissions de variétés et de publicité à l'usage des auditeurs anglais. Cela nous amène à conter l'odyssée incroyable (mais vraie) de la Tante Francine qui paria. nous ne savons plus avec qui, qu'elle ferait l'ascension du plus haut pylône, celui de 113 mètres. Le pari fut tenu et l'ascension faite. Nous tenons à en apporter la preuve photographique.

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Toujours est-il qu'à partir de cette date de 1933, on utilisera, on peut dire journellement, les lignes téléphoniques pour les retransmissions depuis Paris pour les nouvelles et depuis les différentes sections qui allaient se multipliant.

Tout cela exigeait un matériel toujours prêt à bord du car de retransmission de Radio-Normandie pour des installations rapides.

1934. L'application du Plan de Lucerne eut pour effet de reléguer Radio-Normandie sur l'onde commune de 200 mètres, la plus basse et avec une puissance presque infime. Fernand Le Grand s'appliqua à défendre les intérêts de

l'association et obtint de M. Mistler, ministre des P.T.T., le droit d'émettre temporairement sur 206 mètres, longueur d'onde de la Tour Eiffel inemployée à ce moment-là.

Toujours est-il qu'à partir de cette date de 1933, on utilisera, on peut dire journellement, les lignes téléphoniques pour les retransmissions depuis Paris pour les nouvelles et depuis les différentes sections qui allaient se multipliant.

Tout cela exigeait un matériel toujours prêt à bord du car de retransmission de Radio-Normandie pour des installations rapides.

1934. L'application du Plan de Lucerne eut pour effet de reléguer Radio-Normandie sur l'onde commune de 200 mètres, la plus basse et avec une puissance presque infime. Fernand Le Grand s'appliqua à défendre les intérêts de l'association et obtint de M. Mistler, ministre des P.T.T., le droit d'émettre temporairement sur 206 mètres, longueur d'onde de la Tour Eiffel inemployée à ce moment-là.

C'est cette même année que l'Association des Auditeurs créa une Maison de la Radio, rue de Boulogne et Georges-Cuvier, avec grand studio de 16 mètres sur 6, drapé de bleu pour les grands concerts et un plus petit pour les speakers et les disques.

A partir de juillet 1934, paraît l'hebdomadaire le Sans-Filiste de Normandie, organe de l'Association des Auditeurs de Radio-Normandie. dont le siège était rue de Boulogne, à Fécamp. La direction en était confiée à Georges Ricou, ancien directeur de l'Opéra-Comique, la rédaction à Marcel Liégard, rue Corbière au Havre. Le numéro coûtait à l'origine 0.50 F pour arriver en 1939 à 0,75 F. Cet hebdomadaire fut très goûté du public et tira à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Il donnait les programmes de tous les postes français et, par la suite, des principales stations étrangères. Les chroniqueurs en étaient, après G. Ricou et M. Liégard, Jehan Le Povremoyne, journaliste et écrivain ; Albert Bugéia, président du Radio-Club du Havre, gérant du journal ; Lucie Delarue-Mardrus, connue par ses romans et ses contes le conteur Henri Picard, Yves de la Durdent, Mario le Nordiste de Dunkerque (Talleux), J. Bayer, de la Société des Gens de Lettres Guillaume le Quartz, éditorialiste Fr. Tirel, chargé de la chronique artistique et théâtrale D. Heudier, Tante Francine, Oncle Roland, etc.

1935. Un décret du 7 août 1935 permet le transfert de la station à Caudebec-en-Caux nécessité par l'importance prise par Radio Normandie. On se trouve trop à l'étroit à Fécamp, et les antennes dressées en pleine ville gênent les auditeurs qui veulent prendre un autre poste. Le conseil d'administration vote une augmentation de capital et s'emploie à trouver les fonds nécessaires et fort importants. Ne fallait-il pas faire face aux dépenses nécessaires à l'achat du château de Caudebec en bordure de Seine pour y installer les auditoria et certains services administratifs et, en plus, acquérir un terrain suffisant pour y abriter l'émetteur, une salle des machines, antenne, appartements pour le personnel technique.

Sur le plateau de Caux, à Louvetot, dominant la plaine cauchoise, sur un terrain de plus de trois hectares, on trouva un emplacement on ne peut plus favorable. L'entrepreneur était Fécampois et actif. II avait l'entière confiance du président qui le connaissait bien : il s'appelait Edouard Fontaine.

Au centre du terrain, il plaça le bâtiment principal de 53 mètres de longueur comprenant quatre étages et au-dessous d'immenses caves et citernes. Au rez-de-chaussée, une belle salle des machines et un grand atelier de réparations. Au premier, la salle de l'émetteur, celle des accumulateurs, un laboratoire et un studio de secours. Dans la tourelle qui jouxte le bâtiment, le bureau du chef de poste. Au second étage, des logements confortables pour les techniciens. Enfin, couronnant le tout, un vaste grenier.

Ce n'était plus la modeste rue Georges-Cuvier, mais un véritable château de la Radio qu'on peut toujours admirer sur le bord de la route d'Yvetot à Caudebec-en-Caux. Dans la partie basse du terrain, une centrale électrique avec deux moteurs diesel et un transformateur de courant fournissant l'énergie à l'émetteur. Egalement dans la même partie du terrain, un logement de fonction pour le fondé de pouvoir de la Société Radio-Normandie. Enfin à l'entrée, deux bâtiments de part et d'autre du porche, le tout de style normand. Cet ensemble est maintenant la propriété d'une association.

Le site a quelque peu changé avec la disparition de l'antenne de 170 mètres bien haubannée par de gros câbles.

M. Pellene, inspecteur général de la Radiodiffusion, représentant le ministre des P.T.T. Georges Mandel, en présence du sénateur Thoumyre, président du conseil général, et de nombreuses personnalités de Paris et de la région, posa la première pierre en 1935. Toutefois, et bien que le gros-oeuvre fut terminé, et cela en moins de deux ans, Louvetot ne put véritablement fonctionner qu'en 1938. L'émetteur était relié an château de Caudebec par un câble contenant plusieurs lignes téléphoniques d'une longueur de six kilomètres passant par la forêt de Maulévrier.

Ce château de Caudebec, d'époque Napoléon III, et situé tout au bord de la Seine, à l'extrémité est du pays et entouré d'un parc d'où on peut contempler la longue promenade de Caudebec et la Seine débouchant au loin dans la direction de Duclair en épousant la courbe des falaises crayeuses de Caux. On pouvait alors admirer le mascaret - disparu aujourd'hui - dont le flot écumeux affleurait la terrasse du château. A l'intérieur, un rez-de-chaussée d'accueil pour les nombreux visiteurs et artistes, avec bar-restaurant.

Au premier étage et dans une partie du second, bureaux, discothèques et studios. Les étages supérieurs comprenaient les logements pour le personnel. Au fond du parc et de l'autre côté de la route de Caudebec à Villequier, se trouvaient des studios de secours d'enregistrement et de répétitions, etc.

Fernand Le Grand avait fait de Radio-Normandie une station modèle, placée en un point central bien choisi pour réaliser des émissions de qualité.

Radio-Normandie fut alors pour la province, et au-delà, le porte-parole de la joie dans les foyers. N'était-ce pas d'ailleurs le poste le plus gai de cette époque ? Les artistes qui passèrent devant ses micros concoururent à lui donner cette atmophère de gaieté. Citons-en quelques-uns : Henri Laverne, le partenaire de Bach, dont les disques étaient entendus quotidiennement ; Adrienne Galion, qui chantait Catherine était une fille ou Les chemises de l'archiduchesse ; Henri Schaepfer. l'Alsacien, Ah ! Si vous étiez venu hier ; Marie Duhas et son Légionnaire ; Léon Raiter, chanteur et accordéoniste en vogue ; le frégoli Polian ; André Bellet, à la belle voix de basse et puis, les variétés avec le Cabaret Fécampois, Séverin Lair, M. Renault, M. Bodini, les Predhomme, Larcher, David, etc. ; la Scène Normande ; le Théâtre d'Art Classique Havrais ; les Berthe Silva, Albert Huard, Jean Lumière, Madeleine Renaux, René Alix et sa symphonie havraise, Lina Berthys. Raymond Dherrey, du Havre.

Poste aux mille facettes où on assistait par la voix de son speaker, Roland Violette, aux matches de football retransmis depuis Rouen, Le Havre, etc. On assistait également au théâtre grâce aux relais établis avec la salle Pleyel, à Paris, où, par exemple, on donnait « Le mioche » avec, comme principal interprète, Lucien Baroux ; au Cirque d'Hiver où Tante Francine interwievait les Fratellini ; à Lisieux, on entendait les différentes cérémonies de la translation solennelle des restes de Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus depuis le cimetière jusqu'au Carmel.

Tout cela grâce au travail d'une équipe que le président avait su réunir autour de lui et qui ne comptait ni son temps, ni sa peine. Il était épaulé par un conseil d'administration qui comptait parmi ses membres René Legros, le pionnier fécampois de l'automobile, Mr Tetlow, industriel à Bolbec, Blondel, également industriel, à Saint-Léger-du-Bourg-Denis.

Et puis, aussi, les speakers, en partant du début, Tante Francine et l'Oncle Roland, Bénard (cousin Maurice), Bécasse (cousin André), René Malandain, Nicolas, Pierre Garnier (Radio-Vax) qui devait terminer sa carrière à Nice - Cannes - Juan-les-Pins et à Monte-Carlo, et Roger Olivier.

Enfin, les techniciens Albert Drelangue, Jean Lageix, André Charbonnier, Monchy, Joseph Malandain, Janssen, Picard, Le Deunf, Jean Griffen, De Rotalier, Ferhenbach et Pierre Legros.

Nous vous donnons pour conclure l'abrégé du dernier programme du jeudi 7 septembre 1939, dernier jour d'émission de Radio-Normandie.

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Ainsi, Radio-Normandie avait fonctionné ce jour-là pendant dix-huit heures et trente minutes, mais c'était pour la dernière fois. Sa voix s'était tue, car la guerre était là. Jamais plus les auditeurs français et étrangers, si sympathiquement attachés à ses programmes, porteurs de joie dans leurs foyers, ne l'entendraient.

Ces programmes disparaîtraient à tout jamais des périodiques qui prêtaient si aimablement leurs colonnes, tels Le Haut-Parleur, Mon Programme, l'hebdomadaire belge Les Charmes du Foyer, et la semaine allemande Funk Stunde, etc., et les quotidiens de grande

presse qui avaient consacré à R.N. tant d'articles élogieux. Le décret du 3 septembre 1939, réquisitionnant la station, était tombé comme un couperet implacable. Le poste d'émission devenait un relais de la chaîne d'Etat.

Le fondateur devait décéder en 1953. Avec sa persévérance habituelle, il poursuivait toujours son rêve inachevé avec l'espérance au coeur de pouvoir le reprendre un jour.

Hélas ! Nous n'entendrons plus, chaque jour que Dieu fait, sortir des maisons ou s'égrenant au fond de quelque village, les airs qui nous étaient si chers : Les vieux pommiers, J'irai revoir ma Normandie, Bonsoir, chers amis ou Bon anniversaire.

« Cela nous manque », m'a-t-on dit parfois, mais nous pouvons, nous aussi, rêver, comme l'homme à qui nous devions ces douces heures du passé et qui nous faisaient marcher comme en « un rêve étoilé ».

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Jehan de FESCAN